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Arnaud Strina

Arnaud Strina, fonctionnaire territorial, docteur en études italiennes, chercheur associé et actuellement chef de bureau Ressources au sein de la SDIS, a accepté de répondre aux questions de ce questionnaire. De par son panel d’études et de connaissances, il a pu donner un avis complet sur le sujet du Mont-Blanc.

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Réponses aux questions :

Quel est votre avis sur le conflit franco-italien concernant le sommet du mont-blanc ?

  • Je pense que cela relève presque de l'anecdote mais comme toutes les anecdotes il faut y lire les détails secondaires que l'Histoire porte. La relation entre les deux pays est faites autant de traités et de grands discours au niveau des Nations que de dialogues et d'oppositions entre les acteurs de terrains et les institutions. Il faut comprendre les perceptions des uns et des autres de part et d'autres des Alpes. On dit souvent que les montagnes unissent plus qu'elles divisent et c'est vrai, des penseurs Italiens comme Carlo Ossola ont largement contribué à exposer cela (mais même la littérature avec Buzzati). Les oppositions sont alimentées par des logiques bien plus éloignées du territoire concérné. Ce conflit nous démontre juste qu'une frontière reste, qu'on le veuille ou non, une marque d'expression nationale forte. D'ailleurs on peut noter la différence de la langue française qui marque la "frontière" (la ligne de front) et la langue italienne qui va parler de "confins" dans une histoire culturelle marquée par "les marches" avec une nation "expression géographique" dessinée depuis moins de temps et toujours sensible à cette délimitation, le trait de frontière est bien plus complexe que la dispute du toit de l'Europe. Il y a de ces perceptions à comprendre la différence d'un discours français qui voit la frontière naturelle sans même la discuter, en France ce n'est même pas une question, alors qu'en Italie cela va alimenter des débats nationalistes... L'illusion de la fin du modèle Wesphtalien promis par l'intégration européenne, ou encore des causes sociologiques bien plus profondes peuvent êtres évoquées: le rapport France Italie est souvent fait de jugements réciproques et l'idée de l'Italie, pour les Italiens eux même, n'est pas toujours dans la bienveillance.  Une série de stéréotypes ou d'idées reçues renvoient à l'incapacité à s'organiser. Il en ressort presque une perception de prophetie auto-réalisatrice d'une Italie qui se sent rabaissée bien plus qu'elle ne le serait et le rapport avec la France est souvent emprunt d'une rivalité qui n'a même pas lieu d'être, le Mont Blanc est un symbole, à mon sens plus qu'un enjeu, de ce rapport complexe.

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Que pensez-vous de la « lettre perdue de napoleon III » de 1860, divisant le sommet en 2, éditée en 2 exemplaires (Turin et Paris) et mystérieusement disparu après l’invasion allemande lors de la 2nde guerre mondiale ?

  • Je n'ai pas étudié ce document mais on ne peut pas évoquer cette période sans parler du contexte et notamment du travail de l'Etat-Major de l'Armée Sarde de 14 à 60 qui aura marqué des limites administratives assez clairement sans pour autant que l'histoire ne les retiennent. Il est interessant de remarquer que dans les travaux des parlementaires (par exemple le Député Léon Brunier et sa publication "la Savoie en 1848") on souligne que la Savoie est pour le Piémont une "Sibérie administrative", est-ce le contexte historique d'une culture administive ancienne qui n'a pas évoluée, ou des pertes volontaires, ou encore un déni lors des décisions, ce qui est sur c'est que la pratique n'a pas crée la règle et que le flou de la valeur juridique des documents (surtout des cartes) remontent à cette période, entre l'Italie napoléonienne et les guerres d'indépendance, qui aura profondement marquée l'Italie.

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Si vous en avez un, quel est votre avis sur la commission mixte ouverte en 1988 ?

  • J'ai un avis assez partagé sur ce genre de commission en fonction du sujet traité et surtout de leurs compositions, mais ce qui est certain c'est qu'elles ont le mérite d'acter les évolutions lorsque les sujets avancent: ce ne sont pas forcément ces commissions qui produisent des résultats, elles peuvent se réunir sans aucun effet, mais elles sont essentielles pour soutenir des canaux parfois... disons parallèle.

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Qu’est-ce que vous pensez de l’attitude de la France concernant ce besoin, cette nécessité d’avoir le monopole du sommet du mont-blanc ?

  • Je retournerai la question, si le sommet est français pourquoi l'Italie en voudrait la "moitié" (être elle aussi en haut de l'Europe ?), est-ce un besoin d'expression nationale ? un sentiment de rivalité ? un besoin de se sentir respecté ? Je ne le sais pas, et personne ne peut se dire penser pour ou comme la France ou l'Italie. Nous pouvons juste constater l'instrumentalisation politique assez fréquente d'une part de la classe politique italienne. Rengaine classique de l'ennemi extérieur pour unir les troupes, quoiqu'il en soit, ce besoin de la France s'il est autre chose qu'une posture (craint-on une invasion ? non, en tirons-nous un avantage concurrentiel touristique majeur ? non...), va au delà d'une logique économique ou militaire, et démontre la profondeur d'une nation lorsqu'on touche à un élément de son identité. Un partage du trait de frontière sur le Mt Blanc ne me semblerait pas catastrophique pour la nation française, la notion d'intégrité du territoire pose moins de problème avec un partenaire comme Monaco sur des échanges de bonnes pratiques de quelques m².  C'est la résilience d'une force neutre forte au sein des nations qui est à mobiliser pour ce genre de question, les postures politiques n'y feront rien. Les Etats doivent dialoguer profondément, bien plus qu'avec des commissions ou des rencontres.

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Est-ce que c’est un besoin purement conduit par la fierté nationale ou est-ce que c’est un raisonnement qui va plus loin que ça ?

  • Encore une fois je pense que c'est symptomatique d'une maladie dans les relations franco-italiennes de jugements de valeurs éronnés sur le regarde de l'autre, la France ne regarde pas l'Italie de haut et l'Italie n'a pas à se sentir jugée inférieure de la part de la France, et c'est souvent du côté de l'Italie un appel à la fierté qui se diffuse. Alors même que le regard français sur l'Italie est un regard, certes déformé par le fait de ne pas comprendre l'Italie, certes emprunt d'une sympathie qui empêche presque d'y voir tout le sérieux, certes de stéréotypes, mais jamais (rarement) ce regard est celui de celui d'un sentiment d'une rivalité supérieure. Des ouvrages comme celui de Jean-Pierre Panicacci sur l'occupation italienne dans le sud-est de la France expliquent comment, au contraire, les Italiens auraient souvent cultivé un sentiment d'infériorité qui alimenteraient presque une volonté de vengeance. Sans aller dans des théories aussi extrême je relèverais surtout que cette histoire de frontière du Mt Blanc, en France elle ne fait aucun bruit, on pourrait même nous dire que la moitié est italienne, cela ne toucherait pas, je pense, un quelque sens de fierté nationale. Au contraire du côté de l'Italie, et encore une fois, tenant compte aussi de la part d’instrumentalisation  politique, la notion de fierté nationale dans ce pays ou encore dans les années 90 'la bandiera sventola sollo allo stadio" doit trouver des topiques: quoi de mieux qu'une frontière pour agir à l'endroit où il est appliqué ?

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Est-ce que le côté économique joue sur ce besoin de propriété ou c’est purement une question de besoin psychologique ?

  • Je n'ai pas de données sur l'aspect économiques, seulement une expérience et des échanges avec l'environnement du secours à personne: que la frontière sois d'un côté ou de l'autre la solidarité des montagnes s'exprimera toujours, l'aspect psychologique st à mon sens surtout une construction médiatique.

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Ce conflit peut-il être qualifié de guerre froide miniature, ou d’enfantin ?

  • Pour moi cela n'a rien d'enfantin mais cela doit être perçu avec le regard de l’histoire commune.

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Pensez-vous que ce conflit territorial est sans fin ? Ou y’a-t-il un espoir de voir la situation se dénouer d’une manière ou d’une autre ? Si oui, dans quel sens ?

  • Tous les traits de frontières sont des limites dont l'évolution est sans fin. Qui peut prévoir l'avenir ? l'intégration européenne est-elle une logique sans issue ? personne ne le sait, d'ailleurs l'effacement des nations devrait dans l'idéal d'une Europe intégrée, faire "risorgere" des structures comme les Etats de Savoie, mais il n'en n'est rien. Les logiques économiques, spatiales, politiques n'ont à mon sens que peu de marge de manoeuvre face aux forces neutres des administrations qui cultivent en leurs seins des transmissions générationnelles d'idées et de valeurs qui échappent aux constructions médiatiques: le gattopardisme de l'Italie n'est pas une exception, il se révèle juste autrement en fonction du sujet et du moment. Ce sujet pourrait donc se dénouer - temporairement au regard de l'échelle de l'histoire des Nations - mais seulement par une communication profonde (cette fois même "psychologique" pour ce terme) entre la France et l'Italie.

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Quelles sont vos perspectives d’avenir concernant le conflit territorial en cours ?

  • Le statut quo avec des constructions médiatiques différentes.

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Avez-vous des ouvrages ou des documentaires à conseiller traitant de l’histoire du mont-blanc ou du conflit lui-même ?

  • Non, mais je souligne que cet échange n'est pas mené avec une quelquonque qualité de spécialiste des Alpes, ou du sujet en particulier, mais cela relève aussi donc d'une perception générale que l'on peut avoir sur ce sujet sans même être à plusieurs millier de kilomètres et sans tout ignorer du rapport France Italie, sans dire que c'est un non-sujet, c'est donc pour moi un sujet qui mériterait plutôt une contextualisation générale.

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